Gildas Carmouze, la trentaine fatiguée, est un vrai social-démocrate. Le soir du premier tour de l’élection présidentielle, sa mère meurt dans ses bras. Il aurait pu pleurer seul chez lui mais il a cuisiné une choucroute de la mer pour cinq personnes. Ses amis, de vrais sociaux-démocrates, sont des gens charmants. A 20h, ils apprennent que le PS obtient moins de 2% des suffrages. L’appartement est confortable, la choucroute a l’air réussie.
Toute la misère du monde est l’histoire d’un enterrement impossible. C’est la petite bourgeoisie de gauche des grandes métropoles qui assiste à la mort de ce en quoi elle croyait et qui refuse de se salir les mains pour mettre de la terre sur le cadavre. C’est l’histoire de ceux qui ne croient plus ni en Dieu, ni au grand soir et qui s’acharnent à rester raisonnables et polis dans un monde qui ne l’est pas. C’est l’histoire d’une idée, des trahisons qui l’ont abîmée, de sa longue agonie et de sa mort inévitable. C’est l’histoire d’un plat de poisson difficile à digérer. L’histoire des derniers des socialistes, de leurs larmes sincères et de leur déni coupable. C’est aussi une question : on fait quoi du cadavre de sa mère ?
Refuser les larmes, c’est se positionner du côté de la comédie, et donc du rire. Un rire noir, désillusionné sous doute, mais franc et cathartique. Le rire cruel des comédies d’Ettore Scola et de Marco Ferreri. Le rire sans concession du cinéma de Robin Ostlund ou de Damián Szifron. Le rire populaire et méchant du Père Noël est une ordure aussi. Parce que je crois que la comédie, par les excès qu’elle permet, est aussi la forme la mieux capable de mettre au jour les mécanismes de la violence. La violence de classe irrigue tous les personnages de la pièce. Tous, de manière égale, sont affreux, propres et méchants. Alors notre comédie se chargera de les exploser, dans un grand vacarme expiatoire et joyeux.
L’enterrement est impossible, alors notre pièce sera une fête – on fait comme on peut avec sa peine. Elle est la rencontre explosive entre la comédie satirique et la comédie de boulevard. C’est un fantasme de sales gosses : il se passerait quoi si le drame et la violence pénétraient les salons de Feydeau ou du Dîner de cons ? Elle est née de l’envie enfantine de salir de sang et de vomi les velours trop beiges des décors du théâtre bourgeois. Notre pièce aura, je l’espère, l’énergie et la bêtise joyeuse des blagues de mauvais goût. On y retrouvera des marqueurs forts de ce théâtre (huis-clos, milieu social, motif du dîner et acteurs cabots – pourquoi s’en priver ?) mais il s’agira de changer les perspectives, de dénoncer allégrement les conventions. Et de se reconnaître pourtant dans le miroir féroce qui nous est tendu. Il nous faudra inventer d’autres figures repoussoirs que l’horrible inspecteur des impôts. Inventer un boulevard de gauche, qui rit de la gauche. Se reconnaître toujours dans la lâcheté et la monstruosité des protagonistes et pourtant ne pas chercher leur rédemption. Toute la misère du monde, c’est le désir de subvertir un genre de droite, la comédie bourgeoise, pour en faire un objet caustique et anticonformiste.